Denis Fournaud met un point final à sa carrière littéraire avec un troisième livre : Homo Europens. Pour cette autobiographie parsemée de poèmes comme de réflexions mûrement méditées, l’auteur de 83 ans signe un plaidoyer pour une Europe forte et unie face à la conjoncture géopolitique actuelle.
Alors que dans son dernier ouvrage Denis Fournaud, ancien Directeur de la Division des Spécialités pour le Groupe Hollandais SOGEBRA-HEINEKEN, relatait son éviction en 2002, pour Homo Europens il renoue avec son premier livre, In Homo Veritas.
« Mon premier livre est consacré au sourire et à la raison, le principe étant simple, si vous ne souriez pas vous pensez de travers. », expliquait Denis Fournaud lors de la promotion de Rupture de culture en Alsace, le pécheur perdu sans Fischer à la brasserie L’Alsacien Paris République en 2024. « Le deuxième s’avère plus intéressant. Il contient une partie de l’histoire de ma vie, avec quand même une pointe de critique sur ce que j’ai vécu de la part de mon employeur qui m’a viré à 59 ans, en 2002, alors que j’avais une entreprise qui réussissait bien. Elle réussissait trop bien selon lui et il voulait changer la donne. Le résultat demeure que cette brasserie Fischer n’existe plus et que ses produits et les marques affiliées ne sont plus fabriqués en Alsace, à Schiltigheim. Je me suis donc laissé aller à quelques commentaires sur le sujet, sans aucune calomnie. Mon grand sujet a été, au fur et à mesure de l’avancement de cette réflexion, de voir que, finalement, ces risques entre culture d’entreprise et tradition régionale sont extrêmement importants. »
Boucler la boucle
Dans Homo Europens – Mémoires d’un âne pour Européens civilisés, Denis Fournaud a laissé sa rancœur de côté pour raconter son enfance sur fond de construction de l’identité européenne. Il considère son ouvrage comme « en partie une suite et en partie la fin d’une discussion avec la civilisation européenne ». « Je suis un produit de l’année 1942 et je suis de ceux qui ont compris l’importance de l’Europe à travers ma vie d’enfant et de jeune gens », poursuit l’auteur. « Ma vie a, d’une certaine façon, débouché sur l’intérêt pour l’Europe assez tôt puisqu’après mes études en France je suis allé faire des études en “vie européenne” au collège d’Europe de Bruges. Il a fallu attendre ce qui se passe à l’heure actuelle pour que je décide d’écrire ce livre. Nous sommes coincés entre les États-Unis, les Russes et les Chinois et si on ne fait pas plus d’Europe – quelle que soit la façon dont on la fait – on ne sortira pas vivant. Notre culture et notre civilisation vont disparaître. »
La forme choisie pour son ouvrage, dans lequel l’autobiographie suit en parallèle l’évolution de l’Europe d’après-guerre, reste pour le moins insolite. On y trouve notamment des poèmes destinés à son fils qui, adulte, a fait carrière dans l’armée. En ce qui concerne son vécu, l’auteur assure n’avoir jamais tenu de journaux intimes et se baser uniquement sur ses souvenirs. Cette vie qui traverse la seconde moitié du XXè siècle ne s’est pas construite sans regrets. Il déplore notamment comment, en raison de l’expropriation de la maison familiale par l’État français, il fut contraint de renoncer à la carrière de maître vigneron pour laquelle il était destiné. « J’étais quand même d’une famille de vigneron et la dernière c’est celle qui a dû laisser sa propriété parce qu’après que la maison ait été brûlée par les Allemands en 1944, ce sont les Français qui en 1962 l’ont expropriée pour cause d’utilité publique : passage de l’autoroute A6. »
Des souvenirs qui font écho à l’actualité
À la question de savoir si l’histoire se répète, notamment à l’aune des expropriations liées à la très contestée autoroute A69, Denis Fournaud répond : « L’histoire se répète certainement, avec des gens aussi intelligents que ceux qui nous gouvernent, on aurait quand même dû se dire que l’A69 peut passer ailleurs ou trouver une autre solution. »
Même si ponctué d’humour, cet ouvrage survole des thématiques cinglantes qui ne cessent d’émailler l’actualité telles que les violences pédocriminelles. « Je reviens à mon éducation, tout le monde fermait sa gueule », lance-t-il sans ambages. « Quand vous étiez aux Jésuites de Dole, vous n’aviez pas le droit de raconter. C’est dit merveilleusement aujourd’hui par quantité de personnes qui expliquent qu’on avait le droit de ne rien dire. C’est très bien qu’il y ait une plus grande prise en compte. J’espère qu’il y aura quand même des jugements sensés. »
Malgré tout, l’auteur aime autant manier l’humour que la plume et cela quelle que soit la situation traitée. « Si on ne rigole pas, je peux vous dire qu’avec tout ça on est foutu », s’esclaffe-t-il. « C’est un élément de mes bouquins, dire que dans toute chose sérieuse il y a une préparation qui est celle du sourire ou du rire. » Alors que depuis les attentats de Paris en 2015, la liberté d’expression semble toujours plus menacée, Denis Fournaud atteste que l’on peut rire de tout, même des autocrates.
L’Europe comme fil conducteur
Prodigieusement europhile, Homo Europens esquisse des pistes pour l’avenir du Vieux Continent telles que des « importations contrôlables, offensive d’exportations ciblées, régulation en cours des entrants en personnes et capitaux, innovation protégeables » ainsi qu’un « référendum commun pour une Union économique culturelle des pays membres ». L’auteur explique notamment être pour « l’accélération du mouvement européen de confédération – non pas fédération parce que je crois que personne n’est mûre pour ça ». Malgré l’essor des nationalismes eurosceptiques parmi les pays membres, Denis Fournaud n’imagine pas l’Union Européenne sans les 27 et prône même une plus grande ouverture. « Certains États devraient s’ajouter à l’Union Européenne, si on ne va pas trop emmerder les Russes, il faudrait quand même aller prendre deux ou trois des États qui sont dans sa mouvance, ça lui ferait du bien de savoir qu’ils sont dans l’Europe. Ça nous ramène à ce drame de l’Ukraine… »
Face au développement vertigineux de l’intelligence artificielle, Denis Fournaud appelle de ses vœux l’Union Européenne à la réguler. Il invoque ainsi une Europe forte et soudée. « Contrairement à ce que certains pourraient imaginer, nous avons de quoi nous en sortir », conclut-il.
Michel-Angelo FÉDIDA